Linda Nordling s'interroge sur les conséquences à long terme de la persistante instabilité politique sur les scientifiques à Madagascar.
Le mois dernier, Madagascar a sombré dans une crise politique à la suite d'un coup d'Etat militaire, largement soutenu par la population. , L'ancien Président Marc Ravalomanana ainsi déposé, c'est Andry Rajoelina, le très populaire maire d'Antananarivo et ancien disc jockey, est arrivé au pouvoir.
Si certains scientifiques estiment que les retombées de cette crise sur leur travail seront limitées, d'autres pensent au contraire que la chute des investissements étrangers et les sanctions économiques pourraient pousser la communauté des chercheurs de la Grande île, pourtant endurants, au point de rupture.
Des sanctions
Le caractère anticonstitutionnel de cette prise de pouvoir a poussé la communauté internationale à adopter de lourdes sanctions contre Madagascar. De nombreux pays, notamment la Norvège et les Etats-Unis, ne reconnaissent pas le nouveau gouvernement. D'autres, dont l'Union européenne, rejettent toute nouvelle demande de financement tant qu'un gouvernement ne sera pas démocratiquement élu.
L'isolement politique se traduira aussi par l'exclusion de Madagascar de l'élaboration des politiques scientifiques panafricaines. Le pays ayant été suspendu à la fois par la Communauté de Développement de l'Afrique australe et par l'Union africaine, et ne participera donc pas à la Conférence des Ministres africains de la Science et de la Technologie prévue cette année.
Pour Elizabeth Dickinson, rédactrice en chef adjointe de la revue Foreign Policy, les risques de soulèvement font que Madagascar se rapproche dangereusement de la situation d'un Etat en faillite. Sa revue publie chaque année l'index mondial des Etats en faillite, en collaboration avec Fund for Peace, un groupe de réflexion américain.
"Depuis le début de l'instabilité cette année, Madagascar a montré plusieurs des signes d'un Etat en faillite, tel que défini par notre index," déclare-t-elle. Ces signes sont, entre autres, l'implication des militaires dans la transition politique et la raréfaction des investissements étrangers. La firme sud-coréenne Daewoo s'est ainsi retirée d'un contrat d'exploitation agricole de terres malgaches.
Un optimisme à toute épreuve
Le risque de chaos économique se faisant sentir, plusieurs scientifiques malgaches restent pourtant optimistes. Les universités, fermées en début d'année, ont rouvert leurs portes, et les vacances de Pâques ont été raccourcies pour rattraper le temps perdu.
Pour Philippe Rasoanaivo, directeur de recherches auprès de l'Institut Malgache de Recherches Appliquées (IMRA), la crise aura un effet négligeable, si tant est qu'elle en ait, sur son institution, dont les préoccupations sont la conservation de la biodiversité et le développement des médicaments. Comme la plupart des scientifiques de l'île, il dépend de sources de financement extérieures, et non du Gouvernement. "A mon avis, la situation politique qui prévaut à Madagascar ne va pas constituer un obstacle à la participation des scientifiques malgaches à la collaboration internationale, aussi longtemps qu'ils resteront compétitifs, créatifs et innovateurs," précise-t-il.
Il a peut-être raison : depuis l'accession à l'indépendance de l'île en 1960, Madagascar a connu de nombreux violents coups d'Etat et des élections aux résultats contestés. Pourtant, ses institutions de recherche ont survécu et ses universités forment des diplômés de qualité. Fritz Hahne, directeur de l'Institut africain des Sciences mathématiques du Cap, partage cet avis : "au cours des cinq dernières années, nous avons reçu 19 étudiants de niveau post-universitaire en provenance de Madagascar, et beaucoup d'entre eux se sont placés parmi nos meilleurs étudiants".
Jacques Gaillard, chercheur principal à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et expert en science dans le monde en développement, exprime la même opinion : "les Malgaches sont ingénieux." Quand une crise frappe Madagascar, les scientifiques savent se débrouiller.
Mais il est moins optimiste quant aux conséquences de l'instabilité politique actuelle sur le financement extérieur de la recherche. Les sanctions mises ne place par des organismes tels que la Banque mondiale ou l'Union européenne "auront sans nul doute des effets néfastes sur le développement à court terme de l'enseignement supérieur et les activités de recherche à Madagascar."
Les priorités nationales
Même si suffisamment de fonds extérieurs pourront soutenir les chercheurs malgaches pendant cette crise, il semble qu'il s'agirait d'une maigre récompense au vu de leur travail et leur dévouement. Les gouvernements successifs ont négligé leurs politiques scientifique et technologique. Le pays ne s'est doté d'aucune stratégie pour accroître l'impact ou vulgariser le travail des scientifiques et des diplômés talentueux.
Gaillard se consacre actuellement à un rapport sur la science à Madagascar pour le compte de l'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO). Sa publication cette année servira de cadre d'élaboration d'une politique nationale sur l'île. [1]
L'une des priorités consiste clairement à accroître le budget scientifique national. Les dépenses de recherche et développement y sont faibles – Gaillard le chiffre probablement en dessous de la moyenne africaine de 0,3 pour cent du PIB. Les salaires sont souvent dérisoires, beaucoup de scientifiques étant contraints de mener une seconde activité afin de joindre les deux bouts.
Réhausser le budget scientifique permettrait aussi de réduire la dépendance de Madagascar à l'égard des sources de financement extérieures. Avec un taux de 90 pour cent, Madagascar détient le record du monde d'articles scientifiques cosignés par des confrères étrangers – phénomène qui d'après un rapport de l'UNESCO pourrait conduire à une inadéquation entre la recherche menée à Madagascar et les besoins réels de développement du pays.
Toujours d'après cette évaluation, la politique scientifique nationale doit également se pencher sur les problèmes de la fuite des cerveaux et du vieillissement des scientifiques de l'île. Et elle doit s'assurer que les résultats de la recherche sont pris en compte dans l'élaboration des politiques.
Et les questions pratiques...
Mais on ne sait quand le gouvernement malgache, quelle que soit sa composition, pourra enfin se pencher sur la question de l'élaboration d'une politique scientifique.
"Un groupe de travail a été mis sur pied pour réfléchir à [une politique scientifique nationale], mais c'était avant la crise actuelle. Je n'ai aucune idée si ce groupe pourra reprendre son travail dans un avenir proche," déclare Gaillard.
Rasoanaivo en convient. "A l'heure actuelle, et probablement dans un avenir proche, le gouvernement doit s'atteler à de nombreuses tâches urgentes. La meilleure solution pour les scientifiques malgaches consisterait [à démontrer leur valeur], prouver leurs capacités et leurs compétence à mener de bons travaux de recherche," estime-t-il.
Une source proche de l'ancien régime présente pourtant une perspective plus sombre. "Le gouvernement actuel a déjà affirmé publiquement qu'il va abandonner tout ce que nous avons réalisé ou commencé à réaliser, notamment la réforme [scientifique]. Cela nous pose d'énormes difficultés, mais nous ne pouvons rien contre des militaires armés, » dit-il.
Cette semaine, le nouveau régime malgache a annoncé la création d'un ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dirigé par M. Althanase Tongavelo. C'est une nouvelle encourageante. Mais l'avenir de ce ministère sera incertain aussi longtemps que les questions liées à la légitimité du nouveau gouvernement se poseront.
Les scientifiques malgaches méritent mieux.
Linda Nordling est l'ancienne rédactrice en chef de Research Africa.